Les jolies nonnes et l’étude du kesa

美人尼僧とお袈裟の研究

Sawaki Kôdô et deux nonnes

Vers cette époque, un de mes amis perdit son père et nous nous rendîmes à la cérémonie funéraire dans un temple appelé Kichidenji. Deux nonnes de l’école Shingon s’étaient aussi rendues à cette cérémonie. Elles étaient revếtues de kesa traditionnels de très belle facture. Ces kesa ressemblaient de manière remarquable à ceux que portait l’Abbé Fueoka et qui m’avaient tant fasciné ! Depuis longtemps, moi aussi, je désirais de tout mon coeur, porter de tels kesa, me raser le crâne, faire zazen ; je l’avais souhaité toute ma vie ! Je ne pouvais rien imaginer qui m’amène une plus grande joie. Devinez mon émoi devant ces nonnes vêtues de ces kesa là !

Je me décidai alors à les interroger : “Quel est le nom de cette forme de kesa que vous portez ? ”. Peu à peu, après leurs avoir posé de nombreuses questions, j’appris qu’elles étaient des héritières dans le Dharma, à la quatrième génération,  de Jiun Sonja, du mont Katsuragi. Je me dis que j’avais un rapport vraiment étrange avec ces kesa, que peut-être moi aussi un jour j’en porterai un.  J’aurais aimé en apprendre plus, mais les circonstances m’obligèrent à mettre un terme mes questions. Ensuite, chacun repartit de son côté ;  mais de manière inattendue, les deux nonnes m’invitèrent peu après à venir donner des conférences.

Concernant ces deux nonnes, bien que l’une était la tante et l’autre la nièce, dans le Dharma, l’une était le maître et l’autre la disciple. Plutôt que de se marier, elles s’étaient fait construire Kichishô-an, leur hermitage, et s’y étaient retiré.

Parce qu’elles avaient embrassé toutes les deux la voie du Bouddha, elles recherchaient uniquement maintenant à atteindre la paix de l’esprit. C’est pourquoi, elles s’étaient rendues au Hôrinji à Mii afin d’y rencontrer le maître alors âgé de 70 ans et lui avait demandé :

“Quoi que nous fassions, nous  ne trouvons pas la paix de l’esprit…Pouvez-vous nous aider à trouver cette paix de l’esprit ?”

Ce maître était un quelqu’un de vraiment étonnant :

“ Quoi ? Trouver la paix de l’esprit ? Des jeunots comme vous, vous vous imaginez que vous allez trouvez la paix de l’esprit et ensuite vous la couler douce ? Mille fois inquiétez-vous !  Est-ce que moi , qui ai atteint soixante-dix ans, vous croyez que je m’inquiète pas ? Quelle bande de fainéant vous faites !”

Ainsi les sermonna-t-il. Elles furent bien étonnées , et s’enfuirent sans demander leur reste !

Quoi qu’il en soit, elles étaient devenues nonnes, et d’une manière ou d’une autre elles se disaient qu’elles voulaient entendre  de vrais enseignements. Mais commes ces nonnes étaient des beautés, leurs familles craignaient qu’il ne leurs arrivât de fâcheuses aventures et ne voulaient rien savoir.

À ce moment-là, il y avait un bukotsukan bilieux à Kangakuin, Sawaki Kôdô.  Avec cette personne elles étaient tranquilles se dirent-elles et c’est pourquoi elles me demandèrent de venir les voir, c’est ainsi que moi j’ai été choisi.

Pour revenir sur ces lieux de retraites, au moment où se passe cette histoire, il en  existait de nombreux comme celui-ci dans la région pour les nonnes. Ils abritaient des filles de familles pauvres par exemple, ou bien alors des filles de familles aisées qui apportaient avec elles une belle somme d’argent, qui rentraient au monastère depuis leur plus jeune âge et qui un jour devenaient responsables du lieu. Ces personnes-là n’étaient pas devenues nonnes pour pratiquer la voie du Bouddha, c’était avant tout pour ces familles une manière de se débarrasser des jeunes filles. Et donc, parce qu’elles n’avaient pas leurs places dans ces temples et qu’il n’y avait rien à faire, jour après jour elles  s’ennuyaient terriblement. Comme il n’y avait aucun loisir, elles faisaient sans arrêt le ménage ou bien elles pratiquaient le thé, les fleurs, ou faisaient la cuisine. C’est ainsi qu’elles tuaient tout le temps libre qu’elles avaient.

Pour celles d’entre elles qui étaient rentrées au temple sans le sou et étaient devenues nonnes, il était entendu qu’elles passaient leur vie à accomplir des tâches subalternes en cuisine ou au service des autres.

Dans des temples comme ça, les nonnes pouvaient être capricieuses et décider sur un coup de tête qu’elles avaient envies d’entendre des conférences et pour cela faire appel à moi.

Compte tenu de cette situation, c’était le genre d’endroit où l’on était très bien reçu ! On pouvait s’asseoir sur de grands et très beaux zabuton, on pouvait manger des gâteaux d’excellente qualité,  bien emballés dans de beaux papiers japonais. Moi, j’arrivais-là comme à mon habitude, le vêtement déchiré, en roulant les épaules, le visage fermé et peu avenant, l’air sérieux et admirable, et malgré cela, vraiment,  j’étais reçu de manière absolument parfaite.

Si malgré mes manières de rustre, j’ai acquis une petit peu de savoir vivre, c’est pour avoir fréquenté de tels endroits.

Au final, il était clair que le mode de vie de ces femmes n’avait aucun sens.  Mais moi, comme à mon habitude, je ne me privais pas de leur faire remarquer cette oisiveté, ces caprices de princesses, ces religieuses cantonnées dans des rôles de servantes. on disait souvent, à cause de cela, que j’avais une langue de vipère ; en général j’étais invité une fois, mais pour une deuxième fois, je ne voyais rien venir. J’ étais devenu célèbre à cause de ce franc-parler, mais cela ne semblait pas avoir posé de problème car j’avais été invité à Kichishô-an.

J’avais pris l’habitude de me rendre à Kichishô-an une fois par semaine, le samedi après-midi.

Ces conférences hebdomadaires se prolongèrent pendant six ou sept ans, jusqu’à ce que je parte pour la région de Yamato. Les nonnes habitaient  un très bel hermitage, et j’étais très bien rémunéré. Là-bas, je donnais des conférences sur le “Gakudôyôjinshû” ou bien le “Shôbôgenzô zuimonki”. Bien qu’appartenant à la tradition Shingon, elles avaient aussi reçu une formation dans la tradition Sôtô de Dôgen.

Un jour, ces nonnes apportèrent un livre qu’elles me montrèrent, le “Hôbukuka sanki” ( “Poème sur le vêtement de la voie” “Ode didactique sur le vêtement de la voie”) , et me demandèrent de leur en expliquer le sens pendant mes conférences. C’était un texte en vers qui parlait du kesa. À cette époque, je ne savais même pas qu’il existait des livres d’étude sur le kesa. Mais j’étais sûr qu’en lisant quelques livres et en faisant quelques recherches il n’y avait rien que je ne puisse finir par comprendre. C’est pourquoi, ni une ni deux, j’acceptais leur proposition.

Je passais tout mon temps , jusqu’à la semaine suivante  à faire des recherches, mais contrairement à ce que je pensais, je n’arrivais même pas à commencer à en comprendre le sens. C’était du charabia à n’y rien comprendre ! Ha… c’est que j’étais bien embêté ! Mais en y réfléchissant, que je ne sois même pas capable d’en gratter la surface n’avait rien d’étonnant puisque je n’avais jamais étudié le kesa.

Je me rendis dans un temple voisin et j’empruntais le “Hôbuku zugi” (“Règles illustrées sur le vêtement de la voie”). Il y avait une version abrégée en deux volumes et une version complète en dix volumes.  À cette époque, je possédais des dictionnaires sur la philosophie et le bouddhisme, j’y cherchais le vocabulaire avec véhémence, mais le texte était toujours impénétrable. Je réalisai que pour étudier le vêtement de la voie, il fallait commencer par étudier les statues du Bouddha. De manière générale, j’ignorais ce que c’était vraiment que le kesa. Je demandais aux nonnes. Elles ignoraient tout des études sur le kesa, en revanche, elles connaissaient bien le kesa lui-même. Cette fois, c’est moi qui allait poser des questions aux nonnes.

Tous les ans , à l’automne, l’Abbé de Hôryûji pratiquait une cérémonie sur la tombe impérial de Shinagaku.  Et ainsi, je m’y rendais moi-même pour l’assister tous les ans. À chaque fois, après l’ascension de Shinagaku à Kôkiji, on avait l’habitude de faire une pause, et je souhaitai cette fois en profiter pour m’instruire. J’étais heureux de pouvoir profiter de cette opportunité  : j’allai faire une offrande au temple, et je pu observer des kesa de Jiun Sonja que l’on accepta de me montrer. Ce temple Kôkiji, sur la montagne Katsuragi, est le lieu où se retira Jiun Sonja. C’est là qu’il mené à bien ses recherches sur le kesa. À cette époque, dans son ensemble , l’école Ritsu ne respectait pas à la lettre la manière conforme de porter le kesa. Jiun Sonja qui a découvert cette erreur dans le positionnement des liens, a exposé la manière correcte de les placer.Ce changement pourtant, ne fut pas du goût de l’école Ritsu très rigide d’alors, qui alla jusqu’à qualifier Sonja d’hérétique,  et à cause de cet incident fit retirer son nom des registres du temple Yachuji. En fait, Sonja fut même exilé de manière déshonorante. Ce genre de pratique avait donc cours à toutes les époques.

La vérité, c’était que concernant le kesa, quelle que soit l’époque, personne n’avait jamais surpassé Jiun Sonja. De plus, cet ensemble de très nombreux kesa qu’on appelle les ‘Mille Robes’ , est conservé à Kôkiji. Kôkiji était donc un endroit essentiel ; c’est pourquoi, alors que j’étudiais le kesa et que les questions surgissaient les unes après les autres, je fus toujours capable d’y trouver des réponses claires et précises à mes problèmes.

Je me rendis ensuite au temple Yôsenji, à Matsusaka, dans la péninsule d’Ise. Mais de là aussi je partis. En 1914, j’entrai au  Kôfukuji à Nara. Là-bas, une grand-mère du nom de Kitamura Satoko, qui venait toujours écouter mes histoires à Yôsenji, me rendit visite. Elle me demanda de lui faire faire le tour de Nara. Je l’accompagnais donc, et à pieds nous visitâmes la ville.

À ce moment-là, alors qu’un peu par hasard nous nous trouvions devant les statues des dix grands disciples du Bouddha, je commençais à donner des explications sur les funzo-e qu’ils portaient.

“J’aimerai bien moi aussi porter un kesa comme ceux-là, un jour”, lui dis-je.

“Où est le problème ? Je peux vous en faire un !” , me répondit-elle tout simplement. Et c’est ainsi que la décision fut prise !

ÀÀ l’origine, les funzo-e étaient cousus avec des tissus souillés parce qu’ils avaient été abandonnés dans les cimetières, utilisés pour les règles des femmes ou pour les accouchements par exemple. Ils étaient rassemblés, lavés soigneusement, réunis en patchwork et cousus pour former un kesa . Cependant, comme dans notre pays par exemple, on ne peut pas rassembler ce genre de tissus souillés, il allait falloir utiliser des tissus devenus inutiles.  Parmi tous les différents kesa, ceux-là étaient considérés comme les plus nobles, les plus élevés, les plus respectés.

Puisque qu’il avait été convenu que cette grand-mère allait me coudre un funzo-e, il fallait avant tout lui en montrer un vrai qu’elle prendrait comme modèle. Je me rendis donc à Kôkiji pour emprunter un kesa. Mais les kesa qui étaient conservés à Kôkiji, même pour simplement les déplacer, il fallait les maintenir parfaitement à l’horizontal, on ne pouvait même pas les transporter un tant soit peu penchés. Les personnes en charge de leur conservation en prenaient, dans le plus grand respect,un soin extrême. Il était donc hors de question d’en emprunter un.

Je consacrai toute mon énergie à trouver une solution à ce problème. J’appris finalement que de nombreux kesa nyohô-e étaient conservés à Chôeiji, dans la ville de Fuseshi, un temple de la même obédience que Kichishôan. Ce temple était le premier dont Jiun Sonja prit la direction. Ce fut donc Kichishôan qui adressa une requête à Chôeiji, pour pouvoir emprunter un kesa, et ainsi, enfin, il fut possible de montrer à madame Kitamura un authentique kesa.

Cependant, simplement en regardant ce modèle, Madame Kitamura ne fut pas capable de comprendre de quelle manière il avait été cousu ! Il n’y avait pas d’autre solution que d’en découdre les pièces sur une petite section pour en comprendre la fabrication. Ensuite, tout  a été remis en place et recousu avec le plus grand soin puis retourné à Chôeiji.

Madame Kitamura Satoko avait un jeune frère vendeur de ceintures de obi à qui nous avons demandé de teindre un grand nombre de chutes qui lui restaient. En les assemblant, elle pu enfin me coudre un kesa. Ce kesa, aujourd’hui encore, reste mon principal et plus beau funzo-e à quinze bandes.

Et pourtant, il restait des choses que je ne comprenais toujours pas autour du kesa. Par exemple, qu’est-ce que pouvait bien être un kesa kusshô-e? Je l’ignorais. C’est pourquoi j’ai poursuivi mes recherches sur le sujet.

Si l’on y réfléchit bien, cette vie consacrée à l’étude, je l’ai passée près de Nara, l’ancienne capitale au coeur du Japon, là où l’on trouvait l’expression la plus élevée de la culture classique. À cela, il faut ajouter que pendant les voyages que je faisais pour donner des conférences dans les monastères tenus par des nonnes, j’étais inévitablement au contact direct de ces nobles traditions, et qu’ainsi j’en ai été imprégné.