Propos sur le kesa

L’origine du kesa

Dans ce chapitre, je voudrais parler du kesa. Tout d’abord, pour commencer, parlons de son origine. D’après les sermons du Bouddha, le roi Bimbisara, qui s’était converti au bouddhisme, un jour qu’il parcourait une route à cheval, aperçu un disciple du Bouddha qui venait dans sa direction. Pour montrer son respect, le roi descendit de cheval pour le saluer, mais celui qu’il avait pris pour un disciple du Bouddha s’avéra en fait être un Brahman. C’est pourquoi, pour mettre fin à cette situation où l’on ne pouvait distinguer d’un simple coup  d’oeil les disciples du Bouddha, le roi alla demander au Bouddha de choisir pour ses moines un vêtements distinctif.

Le Bouddha s’adressant à Ananda qui était à ses côtés dit,  en regardant les rizières : “ pourrais-tu faire  quelque chose qui ressemble à ces rizières”. Ce qui est important dans les rizières est évident. La forme en rizière du kesa est donc à l’initiative du Bouddha. C’est cela l’origine du kesa. C’est pour cela que l’on appelle le kesa fukuden-e (“Le vêtement du champ du bonheur”), et aussi suiden-e (“Le vêtement-rizière”).

Vous comprendrez très bien les mérites du kesa si vous étudiez les deux chapitres kesa Kudoku ( Les mérites du kesa ) et Den-e  ( La transmission du kesa )  du Shôbôgenzo.

Den-e” c’est la transmission de la loi. Transmettre le kesa, c’est donc transmettre la loi du Bouddha.

J’ai commencé à réfléchir au kesa quand j’avais dix-neuf ou vingt ans. Mon maître avait lui-même suivi pendant longtemps maître Nishiari et avait aussi étudié à Mii-dera.  Quand il enseignait, il revêtait un kesa gris souris en crêpe de ramieet un kolomo jaune. Bien que maître Nishiari lui ait remis ce kesa de son vivant, à la mort de celui-ci, il le rendit au temple. Il était différent de celui que je possédais alors. Il n’avait pas de lien en corde ou en cordon tressé, mais en tissu cousu au point caché. Le point de couture aussi était différent de celui des kesa que l’on trouvait dans le commerce. Est-ce que d’une manière ou d’une autre c’était mon destin ? En tout cas, je me suis dit que j’aimerais bien essayer de porter un kesa comme celui-là.

Ma vie entière, j’ai eu le sentiment que revêtir le vrai kesa, me raser le crâne et pratiquer zazen était la réalisation ultime. Se raser le crâne, revêtir le kesa, pratiquer zazen. C’était là le sommet le plus élevé, et il n’y avait rien au dessus pour moi. J’avais dix-neuf ans à ce moment-là ; immédiatement après, j’ai remplacé les liens du kesa que je possédais.  

Concernant la manière de porter le kesa, maître Dôgen écrit dans le chapitre  kesa Kudoku ( Les mérites du kesa ) du Shôbôgenzô : “Les deux bords du kesa reposent sur le bras et l’épaule gauche”. N’importe quel endroit sur l’épaule gauche fait l’affaire. Il ne faut pas se tromper dans la manière correcte de nouer les liens [La façon de nouer les liens doit suivre les règles]. C’est-à-dire que,   et chû ( ce sont les deux noms des liens du kesa) doivent être à l’emplacement correct pour manifester de la dignité.

[…]

Je décidai que, d’une manière ou d’une autre, j’allais en apprendre le plus possible sur le kesa; c’est à partir de ce moment-là  que du matin au soir je ne pensais que  “kesa, kesa, kesa”. Finalement, je dû aller accomplir mon service militaire. Je me disais que je pourrais continuer à étudier à mon retour, mais, juste alors que je quittai l’armée, la guerre éclata. “Alors, je vais bientôt mourir” pensais-je. Mais bien que je me sois battu au front, j’ai quand même fini par en revenir vivant.

Je me suis dis que, cette fois, j’allais enfin pouvoir reprendre mes recherches, mais je n’ai pu trouver personne qui avait une bonne connaissance du kesa. Je suis alors parti pour étudier à Nara.

On trouvait à Nara des temples “rissou”, mais ce n’était pas la seule secte représentée. Il y avait aussi de nombreux  temples d’autres sectes comme par exemple des temples de la Terre Pure, des temples Shingon ou encore des temples Tendai.

Parmi ceux-là se trouvait le Kôkiji à Katsuragi. Lorsque je fis un pèlerinage dans ce temple principal, je remarquai que les kesa qui y étaient conservés étaient cousus du même point que celui que j’avais vu à dix-neuf ans. Il y en avait de nombreux en coton ou en canequim. À cette époque, je devais avoir vingt-neuf ou trente ans, j’étais complètement ignorant. Peu à peu,  à force de poser des questions, j’ai appris toute l’histoire. Ce Jiun Sonja de Katsuragi, parce qu’il avait changé l’emplacement des liens du kesa avait été exclu de sa secte. Pourtant, pour tout ce qui touchait le kesa , nul de le dépassait. C’est pourquoi, à Katsuragi, on pouvait trouver toutes sortes de kesa. C’est ce qu’on appelle les “1000 kesa”, il y en avait de très nombreux qui étaient rassemblés et conservés là.

C’est alors que, l’un de mes amis ayant perdu un parent, je me rendis avec lui à la veillée funèbre. À cette veillée funèbre, une nonne était présente, et elle était revêtue d’un kesa qui représentait mon idéal. Cette nonne avait une bonne connaissance du kesa. En regardant le sien, je vis que son cadre avait trois lignes cousues. Je me décidai à la questionner là-dessus. Il se trouve qu’elle était héritière dans le dharma, à la quatrième génération, de Jiun Sonja de Katsuragi !

Il se trouve que cette nonne était une femme assez aisée, qui, plutôt que de se marier, avait préféré se retirer du monde et vivre dans un ermitage qu’elle s’était fait construire. Bien qu’elle n’eût là-bas qu’une seule disciple, celle-ci comme son maître, était issue d’une famille aisée. Elles appartenaient à la secte Shingon, et pourtant, elles étudiaient le Gakudô yôjinshu ou bien encore le shôbôgenzô zuimonki de maître Dôgen [ elles connaissaient si bien ces textes que c’est comme si elles étaient devenues zen soto].

Un jour elles me demandèrent si je pouvais venir leur donner des enseignements sur le texte “Ôde au vêtement du Bouddha”. Ce livre est un recueil en vers au sujet du kesa. Immédiatement, j’acceptai. Je me disais qu’après avoir lu le livre, je pourrais sans aucun doute donner des enseignements à son sujet. Une fois chez moi, j’essayai de le lire : on n’y comprenait rien ! Après tout, il fallait s’y attendre : pour étudier le vêtement du Bouddha, il fallait acquérir des connaissances spécifiques au vêtement  du Bouddha. C’est pourquoi j’empruntai les “Règles illustrées sur le vêtement du Bouddha”. La version abrégée se présente en deux volumes, alors que la version longue en comporte dix. Je réalisai que l’étude du vêtement du Bouddha devait commencer par l’étude des statues du Bouddha. C’est pourquoi j’empruntai au temple Shingon ce livre en particulier.

À cette époque, j’étudiais au Hôryu-ji, près de Nara. De grandes manoeuvres militaires furent organisées et tout le monde était très excité. Mais pour moi, qui avait vraiment connu la guerre et finalement en était revenu, ça ne valait pas tripette. Pendant que les autres étaient allé voir les manoeuvres , moi de mon côté je recopiais les “Règles illustrées sur le vêtement du Bouddha”. J’avais beau étudier cette version abrégée des “Règles”  dont je venais de faire une copie, je ne comprenais toujours rien à l’ “Ôde au vêtement du Bouddha”. Mais, comme je l’ai expliqué plus tôt, comme j’avais avec tout cela une sorte de connexion, je n’en étais que plus motivé à poursuivre mon étude du kesa.

Dans le bouddhisme nous parlons de la “transmission du bol et du kesa pour désigner la transmission de la vérité ultime de toutes choses. Cette transmission du Bouddha-dharma remonte aux origines, et le kesa le symbolise depuis toujours.  Cela aussi ne faisait qu’augmenter ma détermination à étudier le kesa. Pour autant, j’avais le sentiment qu’il ne ne s’agissait pas là d’une affaire réservée aux moines, et que tout le monde, tous les japonais ordinaires, devaient eux aussi connaître le kesa.

Les européens, eux, avaient la “Philosophie du vêtement” de Thomas Carlyle, presque tous les étudiants connaissaient ce texte. Comme je n’arrêtais pas de  rabattre les oreilles de quelqu’un avec le kesa et encore le kesa, cette personne m’en apporta un exemplaire que j’ai lu. Ce livre nous parlait des vêtements luxueux, des vêtements d’église… Mais cela n’avait rien à voir avec le vêtement noble et précieux qu’est le kesa du Bouddha. Ces vêtements n’étaient pas investis,  comme le kesa, d’une multitude de significations.

Il me semblait que nous devions faire plus, nous bouddhistes, pour la diffusion de ce kesa si important !

À cette époque, j’avais le sentiment que se raser le crâne, revêtir le kesa, pratiquer zazen, cela suffisait amplement à me satisfaire. Je pensais que la pratique c’était cela, et rien de plus.