Je ne possède rien

Peut-être qu’au moins ce corps nu est à moi ?

Ce texte, le 2ème extrait du recueil d’enseignements de Kōdō Sawaki intitulé « Il suffit de s’assoir », illustre le cheminement spirituel du moine Panthaka, qui, après avoir renoncé à ses richesses, se questionne sur ce qui lui appartient vraiment. Il réalise que ni sa maison, ni ses proches, ni même son bol à aumône ne lui appartiennent. Le Bouddha lui enseigne l’impermanence et l’illusion du soi, en lui montrant que même son kesa et son corps physique ne sont pas à lui. Ce récit met en lumière les principes du karma et de la vacuité des possessions matérielles, conduisant à la compréhension que tout ce que nous percevons comme ‘nôtre’ est impermanent et dépendant de causes et conditions.

Il faut se souvenir que ce texte est la transcription d’un enseignement oral, il n’a pas toujours la structure rigide ou logique d’un texte écrit mais suit plutôt le mouvement de la pensée et de la parole spontanée. Parfois une idée, une piste, est purement et simplement abandonnée et l’on revient au fil d’idées précédent, parfois le sujet de la phrase change passant du moine de l’histoire à un ‘on’ plus général. Nous avons conservé dans la traduction ces transitions inattendues et ces changements de sujet.

Le texte :

Parmi les disciples du Bouddha, il y avait un homme qui avait était riche autrefois, il avait renoncé au monde et était devenu moine sous le nom de Panthaka 1Dans les textes bouddhistes, il existe deux frères Panthaka : Cūḷa-Panthaka (Petit Panthaka) et Mahā-Panthaka (Grand Panthaka). Tous deux étaient les petits-fils d’un riche marchand à Rājagaha. Le nom « Panthaka » signifie « né sur la route », car leur mère les a mis au monde en voyage. Mahā-Panthaka, l’aîné, devint moine et atteignit rapidement l’Arahantship grâce à ses capacités méditatives. Cūḷa-Panthaka, quant à lui, éprouvait de grandes difficultés à mémoriser même un seul verset, au point que son frère l’invita à quitter le monastère. Le Bouddha, voyant son potentiel, lui donna un tissu blanc et lui demanda de le frotter tout en récitant « Rajoharanam », symbolisant l’impermanence. En voyant le tissu se salir, Cūḷa-Panthaka comprit cette vérité et atteignit l’Arahantship. Il devint ensuite le plus distingué parmi les moines pour la création de corps mentaux (manomaya) et le développement mental. Cette histoire illustre l’enseignement habile du Bouddha, montrant que la compréhension du Dhamma ne dépend pas des capacités académiques. Elle apparaît dans plusieurs textes comme le commentaire au Dhammapada et le commentaire au Theragāthā.. Le Bouddha lui dit : « Ce qui ne t’a pas été donné n’est pas à toi »

En réfléchissant à ces paroles, il se demanda : « Qu’est-ce qui m’appartient vraiment ? »

Après être devenu moine, il réalisa que sa maison, son entrepôt et ses richesses ne lui appartenaient plus. Sa femme, ses enfants et ses proches n’étaient pas non plus « à lui ». Il pensa alors : « Peut-être que seuls ma robe de moine et mon bol d’aumône sont à moi. »

Mais même en mendiant, il pouvait parfois recevoir de la bouillie, du riz froid ou des aliments qu’il n’aimait pas particulièrement. Au Japon, les aumônes peuvent inclure de l’argent ou du riz, mais en Thaïlande ou en Inde, encore aujourd’hui, les offrandes sont souvent des aliments préparés, enveloppés dans des feuilles de gingembre, de bananier ou d’écorce de bambou.

Donc, pour ce qui entre dans le bol – bien que cela ne soit pas l’enseignement du Christ, c’est un peu comme dire ‘Ne vous inquiétez pas de ce que vous mangerez ou porterez’ : On mange ce qui est donné et donc tout dépend entièrement de celui qui donne.

Le Bouddha lui-même un jour, alors qu’il visitait une nouvelle région, a dû survivre avec pour seul repas de l’eau qui avait servi à laver le riz, et il a affronté aussi bien d’autres difficultés.

Il y avait un moine nommé Rigunshi qui, ne recevant pas d’aumônes, finit par… 2Cette histoire fait partie des Jataka, qui racontent les vies antérieures du Bouddha et illustrent des leçons morales liées au karma. Celle de Rigunshi, un Arahant dans le royaume de Kosala, montre comment les actions passées peuvent encore affecter un individu spirituellement avancé. Malgré son statut, Rigunshi ne pouvait recevoir d’aumônes en raison d’obstacles karmiques, malgré l’aide de grands disciples comme Sariputta, Ananda et Moggallana. Cette histoire souligne l’impact des actions passées, même après un progrès spirituel, et illustre la vision bouddhiste du karma. Elle est mentionnée dans plusieurs textes, y compris les Jataka et leurs commentaires, pour enseigner les conséquences des actions et la voie vers l’illumination.C’est alors qu’on se rend compte : ‘Ah, même la nourriture n’est pas à moi.’

Puis, il pensa que peut-être seule sa robe de moine lui appartenait… Mais une robe de moine est faite de tissus récupérés : des morceaux tachés par l’accouchement ou les menstruations, des tissus troués par des brûlures, mâchés par des rats, déchirés par du bétail, ou emportés par des corbeaux et dispersés par le vent jusqu’à ce qu’ils n’aient plus de propriétaire.
Puisque personne ne veut de ces morceaux de tissus, ils sont ramassés, les parties inutilisables sont coupées, les autres sont lavées et assemblées pour fabriquer la robe du moine – cela s’appelle un funzōe (pāṃśukūla).
Que ce soit de la soie ou du chanvre, tout ce qui est trouvé parmi les déchets fait l’affaire. Dans certaines régions du continent, ils portent uniquement des peaux d’animaux. Certains tissus sont fabriqués à partir de plumes d’oiseaux ou de poils de bêtes. On ramasse ce qui est tombé parmi les détritus et on le coud en cinq, sept, neuf ou vingt-cinq bandes.

Ainsi, on ne peut pas choisir le motif ou le matériau que l’on voudrait, n’est-ce pas ? ‘ Même cette robe de moine n’est pas à moi ! ‘

Je n’ai jamais fabriqué mes propres vêtements non plus – quelqu’un d’autre les fabrique, je suis comme un portemanteau. Alors, ni ces vêtements ni la nourriture ne sont à moi.

On se dit alors : ‘Peut-être qu’au moins ce corps nu est à moi ?’

Ce corps physique… Lorsque l’on mange quelque chose de savoureux et que l’on digère bien, on est plein d’énergie. Lorsqu’il fait froid et que l’on mange mal, on se sent mal. Lorsque l’on a faim, on se sent mieux après avoir mangé. Comme l’a dit Einstein 3L’idée exprimée ici sur la dépendance à l’énergie pour le bien-être physique ressemble davantage à une vulgarisation des théories d’Einstein sur l’énergie et la matière, plutôt qu’à une citation précise d’Einstein lui-même., lorsque cette énergie est épuisée, on devient faible. Si l’on reçoit une nutrition adéquate, on peut éviter la maladie.
Ainsi, on se rend compte que ‘même ce corps physique n’est pas à moi.’

On se demande enfin si cet ’esprit’ est à moi. Mais en y réfléchissant davantage, on se rend compte que l’esprit n’est pas quelque chose de fixe que l’on pourrait appeler ‘mien.’ L’esprit est acquis , il n’est pas inné.
Ainsi, on se rend compte que ‘cet esprit non plus, il n’est pas à moi.’

Par conséquent, tout ce que nous pensons être nôtre n’est que simple illusion.

Sawaki Kōdō

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    Dans les textes bouddhistes, il existe deux frères Panthaka : Cūḷa-Panthaka (Petit Panthaka) et Mahā-Panthaka (Grand Panthaka). Tous deux étaient les petits-fils d’un riche marchand à Rājagaha. Le nom « Panthaka » signifie « né sur la route », car leur mère les a mis au monde en voyage. Mahā-Panthaka, l’aîné, devint moine et atteignit rapidement l’Arahantship grâce à ses capacités méditatives. Cūḷa-Panthaka, quant à lui, éprouvait de grandes difficultés à mémoriser même un seul verset, au point que son frère l’invita à quitter le monastère. Le Bouddha, voyant son potentiel, lui donna un tissu blanc et lui demanda de le frotter tout en récitant « Rajoharanam », symbolisant l’impermanence. En voyant le tissu se salir, Cūḷa-Panthaka comprit cette vérité et atteignit l’Arahantship. Il devint ensuite le plus distingué parmi les moines pour la création de corps mentaux (manomaya) et le développement mental. Cette histoire illustre l’enseignement habile du Bouddha, montrant que la compréhension du Dhamma ne dépend pas des capacités académiques. Elle apparaît dans plusieurs textes comme le commentaire au Dhammapada et le commentaire au Theragāthā.
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    Cette histoire fait partie des Jataka, qui racontent les vies antérieures du Bouddha et illustrent des leçons morales liées au karma. Celle de Rigunshi, un Arahant dans le royaume de Kosala, montre comment les actions passées peuvent encore affecter un individu spirituellement avancé. Malgré son statut, Rigunshi ne pouvait recevoir d’aumônes en raison d’obstacles karmiques, malgré l’aide de grands disciples comme Sariputta, Ananda et Moggallana. Cette histoire souligne l’impact des actions passées, même après un progrès spirituel, et illustre la vision bouddhiste du karma. Elle est mentionnée dans plusieurs textes, y compris les Jataka et leurs commentaires, pour enseigner les conséquences des actions et la voie vers l’illumination.
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    L’idée exprimée ici sur la dépendance à l’énergie pour le bien-être physique ressemble davantage à une vulgarisation des théories d’Einstein sur l’énergie et la matière, plutôt qu’à une citation précise d’Einstein lui-même.