Note du traducteur : Kyûma Echû, qui était né en 1934, nous a quitté en janvier 2019. Son nom était connu en occident des pratiquants du zen qui étudient le kesa. Sous la direction de Kôdô Sawaki, en 1967, il rédige kesa no kenkyû ( L’étude du kesa ) qui devient au Japon le livre de référence incontournable des groupes de couture du kesa ( fukudenkai ). Ce livre n’est publié, à ce jour, ni en français ni en anglais, même si Le livre du kesa publié par l’AZI lui doit beaucoup. Kyuma Echû a cependant publié d’autres livres sur le kesa, moins techniques, pas nécessairement destinés à servir de support à la pratique de la couture du kesa. Citons par exemple Kesa no hanashi (Une histoire du kesa ) ou Kesa to zazen ( Kesa et zazen ) . Ce sont les premières lignes de ce dernier livre, Kesa et zazen que nous traduisons ci-dessous pour donner au lecteur français une idée ( même approximative et imparfaite ) du style simple et direct de l’auteur, qui s’adresse ici à un public Japonais que l’on imagine non pratiquant mais curieux et intéressé. Dans ce court passage, on en apprend, en creux, autant sur le public auquel s’adresse Kyuma Echû que sur le kesa lui-même. Si le kesa en tant qu’objet est manifestement connu, son sens, ses formes, son origine, sont largement ignorés. L’objet faisant ‘partie du décor’, il ne s’en détache que faiblement. C’est donc à une manière de mise au point, au sens photographique, que se livre l’auteur.
À une époque récente, vivait un moine zen du nom de Sawaki Kôdô. Il savait, mieux que quiconque, mettre en pratique l’enseignement de Maître Dôgen. Il répétait cette phrase, devenue célèbre : “Porter le kesa, faire zazen, et c’est tout.”
Même si l’on ignore ce qu’est vraiment le kesa, tout le monde aura au moins entendu le mot ‘kesa’, ou connaît l’expression populaire ‘Ce moine, même son kesa m’insupporte!’ ( ndt : Nous dirions : Je ne peux pas le voir en peinture !) .
Pendant les cérémonies funéraires, les services commémoratifs ou toute autre service religieux bouddhiste, les moines portent nécessairement un kesa comme ceux présentés ci-dessous ( ndt : le texte japonais comporte des illustrations ). C’est pourquoi je pense, que même si vous n’y avez prêté aucune attention, vous avez, selon toute vraisemblance, déjà vu des kesa ( Nous disons ici, par souci de simplicité, ‘porter le kesa’, mais pour être tout à fait exact, il faudrait plutôt dire ‘revêtir kesa’ ). Lorsqu’ils ne pratiquent pas de cérémonie religieuse, les moines peuvent porter d’autres sortes de kesa, comme ceux présentés ci-dessous ( ndt : le texte japonais comporte des illustrations ), tatami-gesa ( kesa d’une bande) et rakusu. Il s’agit en réalité de kesa miniaturisés.
Aujourd’hui, il existe de nombreuses déclinaisons de la forme du kesa. C’est d’ailleurs l’un des traits les plus caractéristiques du Bouddhisme japonais. Les kesa que nous connaissons dérivent d’un kesa originel. Et bien, cela peut paraître étrange, mais en vérité, de nos jours, même les moines spécialistes de la question ne savent pas quelle était la forme de ce kesa des origines !
C’est Shakyamuni (plus connu au Japon sous le nom ‘Shakuson’, forme abrégée de la traduction chinoise de l’expression ‘le Saint du clan des Shakya, révéré de tous’) qui a créé, jusque dans les moindres détails, le kesa des origines. Si l’on y réfléchit, c’est tout à fait unique, c’est un trait saillant qui différencie le Bouddhisme des autres religions du monde. En dehors du Bouddhisme, il n’y a pas d’autre religion au monde dont le vêtement ait reçu une si minutieuse attention de la part de son fondateur. Le fait que Shakyamuni soit lui-même à l’origine du kesa est un fait avéré depuis les recueils de règles, les plus anciens ( que chaque Bouddhiste se doit de protéger ). Parce que le kesa a été créé par Shakyamuni lui-même, il ne faut donc pas le voir uniquement comme un banal vêtement et bien garder à l’esprit qu’il y a en lui un sens profond. Si l’on fait des recherches plus poussées sur ce qu’est vraiment et ultimement le kesa, on découvre qu’il exprime en réalité jusque dans ses moindres détails les enseignements fondamentaux du Bouddha. C’est pourquoi, chaque fois que nous revêtons le kesa, nous touchons directement avec notre corps l’enseignement du Bouddha, nous en sommes comme enveloppés.
Le bouddhisme Japonais contemporain semble avoir perdu son respect pour le kesa, pourtant digne au plus haut point de notre gratitude. C’est regrettable. De nos jours, au Japon, si l’on se rend dans une librairie, on trouve de nombreux livres sur le bouddhisme. On réalise au premier coup d’œil que les enseignements du Bouddha sont nombreux, et plus difficiles à comprendre les uns que les autres. Et pourtant, si l’on cherche dans les recueils de soutras les plus anciens, les enseignements transmis oralement, directement à ses disciples, par le Bouddha lui-même, on se rend compte, me semble-t-il, qu’ils sont faciles à comprendre ! Au fil du temps, les années passant, la doctrine s’est enrichie de nombreux enseignements. En fait, les livres que nous pouvons trouver aujourd’hui dans les librairies sont en grande partie des commentaires écrits plusieurs centaines d’années après la mort du Bouddha. C’est pourquoi, quand on l’aborde, le bouddhisme donne cette impression d’une doctrine particulièrement complexe.
Comme nous l’avons dit, ce que l’on appelle le kesa a été conçu par le Bouddha lui-même. À travers lui se manifeste l’enseignement du Bouddha. Cet enseignement qui se manifeste est très simple, concret et facile à comprendre. L’objectif principal de ce livre est, à travers le kesa, d’expliquer l’enseignement du Bouddha, et cela dans des termes accessibles et compréhensibles.
Se faisant, nous insisterons encore sur les liens qui existent entre l’époque du Bouddha et le bouddhisme contemporain. Notre objectif sera aussi de rendre à nouveau accessibles les enseignements du Bouddha comme ils pouvaient l’être au temps où le Bouddha les enseignait lui-même en toute simplicité.
Dans un second temps, j’ai l’intention d’expliquer ce qu’est zazen, cette pratique qui incarne les enseignements du Bouddha. Il me semble qu’au Japon le Bouddhisme est perçu comme une chose lointaine, une chose envers laquelle on est reconnaissant, mais une chose que l’on ne comprend pas très bien.
Le kesa manifeste l’enseignement du Bouddha sous forme la d’un vêtement, le zazen manifeste l’enseignement du Bouddha sous la forme d’une pratique. D’un certaine manière, l’un comme l’autre sont très proches de nous, l’un comme l’autre sont faciles à mettre en œuvre. Tout cela est vraiment d’une étonnante simplicité !
Par la suite donc, quand j’écrirai le mot ‘kesa‘, il faudra bien comprendre que je désigne par-là le véritable kesa, tel qu’il a été conçu en son temps par le Bouddha lui-même.