La méditation marchée


Menzan Zuiho
Menzan Zuiho

Le Bouddha a dit :

« D’abord je m’assieds là où je pratique, et je me tourne vers l’arbre, puis je fais kinhin. »

On trouve-là, assurément, l’origine de la pratique de kinhin comme accompagnement de l’assise. Cette manière de pratiquer kinhin a été transmise en personne par T’ien-T’ung Ju-Ching  au fondateur de notre lignée il y a presque 500 ans. Mais les règles dans notre école se sont relâchées, et ses derniers rejetons, par ignorance, se sont fourvoyés dans des impasses hérétiques. Hélas,  comment ignorer un tel désastre ? Et cette ignorance persiste encore de nos jours !

C’est pourquoi, m’appuyant sur les intentions de notre fondateur, j’ai mené des recherches exhaustives dans les textes anciens. J’ai aussi commencé à partager le fruit de mes travaux avec des disciples, en espérant ainsi mettre fin à des dérives comme l’on peut en voir dans d’autres écoles.

Le kinhin correct consiste à joindre les mains devant la poitrine [ isshu ] , à les glisser à l’intérieur des manches, et à ne pas laisser tomber ces manches devant les pieds mais à droite et à gauche. Le regard tombe droit devant soi à environ deux mètres.

La marche correcte est rythmée par la respiration ( un inspire, un expire), La mesure d’un pas correspond à la longueur du dos du pied. N’avancez pas le pied en laissant le corps en retrait ; avancez pied et corps ensemble. Ne regardez pas à droite à gauche, ne laissez pas flotter le regard en haut, en bas ; n’agitez ni la poitrine ni les épaules ; ne faites pas de bruit en traînant les pieds. Soyez comme immobile tout en étant en mouvement. Bouger ainsi lentement, marcher avec calme et aisance est admirable. C’est ce que nous appelons ‘la marche lente’. Si vous faites de grands pas, ou levez trop les pieds, si vous vous précipitez ou galopez, vous êtes dans l’erreur, et on serait en droit de vous corriger.

Par le passé, Koti Putara faisait kinhin inlassablement, au point de saigner des pieds. Le bouddha dit  :

« Si Putara continue de faire Kinhin avec l’énergie de quelqu’un qui veut réduire le mont Sumeru en poussière, il n’atteindra pas la Voie. Et pour ne rien arranger, il se fait mal aux pieds ! Il faut absolument éviter de faire kinhin ainsi. »

Vous devriez trouver un lieu propice, en connaître les dimensions et choisir le moment opportun pour vous y rendre. Kinhin ce n’est pas parcourir des cercles , mais faire des aller-retours,  sur une seule ligne. C’est comme le pli [ kin ] d’un vêtement. C’est pour cela qu’on l’appelle kin-hin. Quand vous atteignez la limite de l’endroit, tournez dans le sens du soleil, tenez-vous un instant immobile,  et repartez par où vous êtes arrivé.

Dans le Ch’u yao ching il est dit qu’il existe cinq vertus.  Dans le Ta-pi-ch’iu sanch’ien wei-i ching , il est dit que cela explique cinq choses. Sachez que si vous continuez cette pratique assidûment, cela améliorera grandement votre santé et vous aidera à réaliser pleinement votre pratique.

On disait par le passé que le Bouddha pratiquait kinhin dans des lieux aussi divers qu’au pied du pic des vautours, sous l’arbre de l’éveil, au Parc des gazelles , à Rajarg’ha, mais aussi dans d’autres endroits où on trouve des traces de son passage. On dit aussi que Bodhidharma pratiquait kinhin au pied du mont Sung. Comment pourrions-nous ne pas suivre l’admirable exemple des Bouddha et des Patriarches?

Il est dit dans le Sūtra de l’Ornementation fleurie de Buddha :  « Sudhana vit le moine Sudarshana marcher dans un bois, droit devant lui, s’arrêter, et se retourner. Sa sagesse est vaste comme l’océan et son esprit n’est troublé par aucun objet des sens. Il a dépassé tous les états d’excitation ou d’apathie, le savoir et l’ignorance,  ne bouge, ni ne ressasse. Il n’est plus prisonnier des mots. Il a atteint le royaume de la non-dualité comme le Bouddha, et sa compassion inépuisable convertit les être sensibles tout en demeurant sans pensées. »

Ses vœux : œuvrer au bénéfice et au bien-être de tous les êtres vivants, préserver et répandre le cœur de l’enseignement du Bouddha, l’amènent à suivre les pas du Bouddha, pratiquer le vrai kinhin, en marchant calmement, ni trop vite, ni trop lentement.

Sudharshana expliquait :  » Quand je fais kinhin, en un éclair, toute la Communauté du Bouddha, se tient devant moi dans la pureté de ma sagesse. Immédiatement, tous les mondes, chacun d’entre eux sans exception, m’apparaissent. C’est au-delà du dicible et de l’indicible » . Il continuait :  »  Homme de bien, sache que je ne connais rien d’autre que le chemin de la libération, la flamme qui anime les Bodhisattvas. » Si vous comprenez bien cela, alors vous aurez compris l’essence de l’enseignement de notre premier patriarche. C’est là le sens exact, aussi proche que deux lèvres d’une bouche close, de ce que nous a transmis ce sage; c’est la véritable transmission des Bouddhas et des Patriarches. Ah! Ceux qui vivent dans notre période de  décadence devraient se réjouir de pouvoir, grâce à des mérites acquis dans leurs vies antérieures, recevoir un tel enseignement ! Si on peut seulement inspirer et expirer, observer le pied avant, le pied arrière, sans pensées ni non-pensées, alors la source brille dans sa propre lumière, plus rien n’entrave l’esprit. On appelle Ainsi-venu celui qui pratique cette marche lente libératrice. Comment pourrait-il s’en éloigner? Si vous vous en détournez, avant même d’avoir fait un pas, vous vous éloignez de la vraie pratique. N’en doutez pas, il vous faut maîtriser complètement et apprendre minutieusement cette pratique de mes disciples.