Que faire de cet être ordinaire ? C’est là que réside le chemin bouddhique.
« Les quatre puanteurs de l’homme ordinaire »(「凡夫」四つの臭い) est le premier texte d’un court recueil d’enseignements de Kōdō Sawaki intitulé : « Il suffit de s’assoir »( すわればそれでよい).
Dans ce contexte les quatre puanteurs sont :
L’« illusion sur soi » (我痴, gachi), souvent comprise comme la vue erronée selon laquelle une personne croit que son identité, son ego ou son « moi » sont permanents et indépendants.
La « perspective égocentrique » (我見, gaken), se réfère à une vision limitée et mal fondée du monde, façonnée par l’attachement au « je » ou « moi ».
L’ « orgueil » (我慢, gaman) fait référence à l’orgueil ou à l’arrogance liée à l’attachement au soi, dans ce contexte où il est utilisé pour décrire une attitude négative, « gaman » représente la tendance à se croire supérieur aux autres, souvent en raison d’une identification excessive avec l’ego. Cela inclut un sentiment de fierté basé sur des accomplissements personnels, des possessions ou un statut social.
L’« amour-propre » (我愛, gaai) fait référence à l’amour égoïste ou à l’attachement excessif à soi-même. Cela correspond à une forme d’attachement égocentrique où l’on place ses propres désirs et son propre bien-être au-dessus des autres, créant ainsi une division entre soi et les autres.
L’expression « l’homme ordinaire » est utilisée pour désigner la personne non-éveillée.
La dernière phrase du texte annonce le texte suivant du recueil : « Il n’y a rien qui m’appartienne » (« 「わがもの」はない »)
Le texte :
Le Bouddha a dit un jour : « Les trois mondes m’appartiennent, et tous les êtres qui y vivent sont mes enfants. » Cela signifie que les chrétiens, les adeptes du Tenrikyō 1Le tenrikyō est un mouvement religieux japonais été fondé le 26 octobre 1838 par Nakayama Miki, connue sous le nom d’Oyasama. Le Dieu-parent, Oyagami ou Tenri-Ō-no-Mikoto lui aurait révélé sa volonté de sauver les êtres humains., même les voleurs — chaque être, sans aucune exception — sont tous ses enfants. Il n’y a personne à rejeter ou à exclure : c’est l’essence de l’enseignement du Bouddha. Et cet enseignement est véritablement extraordinaire.
Certaines personnes qualifient le bouddhisme de philosophie, mais ce n’est pas simplement cela. C’est la nature fondamentale qui existait même avant la création de l’univers. Les philosophies impliquent souvent des oppositions ou des conflits, mais le Dharma —les enseignements du Bouddha— transcendent ces divisions.
Le Dharma est éternel et immuable, mais il n’est ni rigide ni figé. Chaque instant est une rencontre nouvelle, chaque instant est un adieu. Il est en mouvement constant, toujours en transformation, et ce flux infini de changement, c’est cela que le Dharma incarne vraiment.
Bien qu’il ne fût pas bouddhiste, Nakae Tōju2 Nakae Tōju (1608-1648) était un philosophe néo-confucianiste, mais ce texte montre comment sa compréhension de la « loi » ou de la « vérité » s’aligne avec des concepts bouddhistes tels que l’impermanence (anicca) et l’attention au moment présent. Son interprétation du caractère chinois 法 (hō en japonais, dharma/loi) est particulièrement éclairante, car elle relie la nature fluide de l’eau à la nature dynamique de la vérité., le Sage d’Ōmi 3La province d’Ōmi (近江国, Ōmi no kuni) est une ancienne province du Japon qui correspond à l’actuelle préfecture de Shiga. Elle constituait un relais-clé de la route du Tōkaidō., disait : « Le caractère pour loi/dharma (法) est composé de l’eau (氵) et de partir/quitter (去), ce qui signifie que le Dharma est quelque chose qui ne reste pas figé dans un lieu. C’est accomplir ce qui est éternellement juste dans l’instant présent. » Cette interprétation est intéressante et caractéristique du style de Nakae Tōju .
Alors, qu’est-ce donc que cette chose que nous appelons « la vie » ? Cette forme disparaît soixante-cinq fois le temps d’un claquement de doigts. Comme les étincelles d’un feu d’artifice, elle scintille et s’éteint, instant après instant. Maître Dōgen appelait cela un « sac de peau nauséabond ». Qui est le propriétaire de ce sac de peau ? Nous pensons qu’il nous appartient, d’un ton arrogant, nous disons « Que crois-tu que je suis ? ». Et pourtant en chacun d’entre nous il y a un sens instinctif de ces quatre sortes de puanteur, ce que nous appelons « l’ego ».
L’« illusion de soi » (我痴, gachi) fait référence à l’existence de ce que nous ne comprenons pas. Nous n’avons pas choisi de naître, ni réfléchi à ce que nous deviendrions. Nous ne savons pas vraiment « ce que nous sommes exactement » . Que ce soit un cadre supérieur droit dans ces bottes, fumant, fredonnant, se mettant en colère contre ses subordonnés, ou une vieille femme racontant des histoires à ceux qui l’entourent, aucun d’eux ne se comprend véritablement.
Ne pas se comprendre véritablement, c’est ne pas se rendre compte que l’on n’est pas différent du Bouddha..
La « perspective égocentrique » (我見, gaken) signifie que chacun possède ses propres opinions subjectives sur tout. Dans le bouddhisme, on parle de « jugement » (見込み, mikomi). Chacun a ses propres jugements arbitraires. C’est l’esprit des êtres ordinaires.
L’ « orgueil » (我慢, gaman) désigne cette tendance, même une fois devenu vieux, à se comparer aux autres : “Je suis sûrement meilleur que cette personne” ou “Je me demande si cette vieille femme m’aime”. Nous faisons ces sortes de comparaisons. Que ce soit la taille de notre bourse, notre capacité à subvenir à nos besoins, notre apparence ou notre intelligence, nous nous comparons tous les uns aux autres. Certains pensent qu’ils sont supérieurs aux autres, même s’ils sont insignifiants, et d’autres, au contraire, se dévalorisent alors qu’ils n’ont aucune raison de le faire. Ce sont là des formes de l’orgueil.
L’« amour-propre » (我愛, gaai) désigne cette tendance, quel que soit ce que les autres en disent, à considérer que l’on est instinctivement le plus précieux pour soi-même.
C’est cette « puanteur » instinctive des quatre sortes d’ego qui définit ce que l’on appelle un « homme ordinaire » (凡夫, bonpu).
Bien que nous ayons toujours à la bouche des paroles agréables, au fond de notre cœur, les pensées sombres et troubles s’accumulent. Si l’on y réfléchit bien, nous nous comparons aux autres, et nos pensées sont souvent intéressées. Nous cherchons à plaire à une femme, à avoir plus d’argent, ou à obtenir un statut plus élevé. Il y en a même qui veulent devenir ministres. — Mais si tu deviens ministre, qu’est-ce que cela changera pour le Japon ? Ce n’est pas nécessaire. Tu n’as même pas besoin de tout cet argent. C’est pour des choses inutiles comme cela que nous portons tous des masques, et vivons dans des constructions imaginaires. Plus nous vieillissons, plus cela devient absurde.
Les artifices qui nous encombrent ne sont pas seulement visibles à la surface de notre être, mais affectent aussi des aspects profonds et invisibles de nous-mêmes. Les enfants en ont moins. À cause de cela, notre bon sens se trouble, et la vie devient de plus en plus complexe. Nous ne pouvons plus distinguer le bien du mal, nous ne comprenons plus rien. C’est ce que l’on appelle être un être ordinaire. (凡夫, bonpu).
Que faire de cet être ordinaire ? C’est là que réside le chemin bouddhique. Il doit y avoir une méthode (南無・帰命, namu/kimyō) pour revenir à notre état originel. Le Sixième Patriarche [Huineng]4Huineng (慧能, 638-713) est le sixième patriarche du Chan (Zen en japonais) et une figure clé du bouddhisme chinois. Né dans la pauvreté, il reçut l’enseignement du cinquième patriarche Hongren sans cérémonie officielle, marquant ainsi une rupture avec les traditions. Huineng prônait l’éveil immédiat à travers l’expérience directe, sans besoin de pratiques formelles. Son enseignement est principalement consigné dans le « sutra de l’estrade » (六祖壇經), où il met l’accent sur l’absence de pensée et l’importance de l’instant présent pour atteindre l’éveil. a appelé cela le ‘visage originel’ (本来の面目, honrai no menmoku).
Dans le bouddhisme Shin 5Le bouddhisme Shin, également connu sous le nom de Jōdo Shinshū (浄土真宗) ou « École de la Terre Pure », est l’une des branches du bouddhisme les plus pratiquées au Japon. Il a été fondé par Shinran Shōnin (親鸞聖人, 1173-1263), qui était à l’origine un moine Tendai. également, on dit « arrêtez de calculer, abandonnez la discrimination » – abandonnez, abandonnez ! Jetez complètement toutes les constructions artificielles. Après tout, le jugement d’un être ordinaire ne vaut pas grand-chose. Ensuite, examinez ce qui vous appartient vraiment.
Sawaki Kōdō