
Avec des prunes salées et trois yens en poche, on peut s’asseoir pendant environ une semaine !
Ce texte de Kōdō Sawaki, publié en 1930, reflète une époque marquée par de profonds changements sociaux et culturels. Dans un style humoristique et mordant, Kōdō Sawaki s’adresse à une société qui, tout en se modernisant rapidement, semble perdre de vue l’essentiel. Il critique les distractions superficielles et invite à renouer avec une pratique authentique : zazen. Il oppose la profondeur de zazen à la futilité des occupations modernes, qu’il tourne en dérision. Cette invitation à la patience et à la simplicité résonne comme un appel radical, dans une société où l’agitation et la superficialité menacent de submerger l’esprit.
Si on fait juste un peu zazen, on ne peut pas vraiment en goûter la véritable saveur. Si l’on consulte les écrits de Maître Dōgen, on y trouve cette phrase : « Ce n’est qu’après avoir fait zazen durant trente ans à peine… » 1Cette référence à : « trente ans de zazen » figure à au moins 2 endroits dans le Eihei Kōroku, dans le discours 8 et dans le discours 319, ci-dessous, le discours 8 :
Voici une histoire.
Mazu déclara : « Ce mental lui-même est Bouddha. »
Damei (« Grand Prunier ») étudia cet enseignement pendant plus de trente ans, vivant sur sa montagne, cachant ses traces dans les sons de la vallée et les couleurs de la montagne.
L’ancêtre Mazu envoya finalement un moine rendre visite à Damei et lui dire : « Le Dharma de Bouddha de Mazu est différent ces derniers temps. »
Damei répondit : « En quoi est-il différent ? »
Le moine dit : « Ni mental, ni Bouddha. »
Damei répondit : « Même s’il dit « Ni mental, ni Bouddha », je continue simplement avec « Ce mental lui-même est Bouddha ». »
Le moine retourna auprès de l’ancêtre et lui rapporta cela.
Mazu dit : « Ce prunier est mûr. »
Dōgen dit : « Ce mental lui-même est Bouddha » est ce qu’il y a de plus intime. Il considère qu’il faut donc rester posé là immobile comme une boîte de conserve, à méditer, pendant au moins trente ans. Il fixe ce cap des trente ans juste comme un repère.
Pendant les vacances d’été, les gens vont passer deux ou trois semaines à barboter sur une plage. Si cela pouvait suffire à les maintenir en bonne santé, ce serait bien ! Mais souvent, ils finissent par avoir mal à la tête ou des problèmes d’estomac.
À la place, ils feraient mieux de renoncer à la baignade pendant un été et d’aller s’asseoir quelque part : avec des prunes salées et trois yens en poche, on peut s’asseoir pendant environ une semaine !
Ces derniers temps, le camping est à la mode… J’ai vu des couples le pratiquer à Fukuoka. Si ce sont de jeunes couples, ça peut encore aller, mais il y a des couples de quarante ou cinquante ans qui mènent ce genre de vie quasi animale.
Est-ce que ce ne serait pas mieux prendre une couverture, d’aller quelque part où on ne risque pas d’attraper froid, et de pratiquer zazen pendant une dizaine de jours avec deux ou trois amis motivés. On pourrait même convenir de donner un coup de poing sur la tête de celui qui s’endort. Ce serait une bonne manière de pratiquer.
Maintenant que la culture des examens a tant progressé, ainsi que celle des caramels, du chocolat et des divertissements, je pense que la culture religieuse devrait aussi être pratiquée un peu plus sérieusement. Même si vous pensez vous être fait avoir, même si vous abordez cela comme un jeu, un peu comme aller à la plage, si vous essayez de vous asseoir pendant une dizaine de jours, alors vous commencerez à comprendre profondément ce que signifie se familiariser avec soi-même.
Se contenter de faire zazen pendant une heure ou deux quelque part, en préparant des gâteaux pour le thé et le dîner, puis boire du thé en pensant avoir obtenu quelque chose, c’est à peine une mise en jambe.
Quand on s’assoit simplement ainsi, qu’on est seul face à soi-même, on comprend vraiment où on en est dans la vie, même pendant un court moment de trente minutes — à condition de ne pas passer son temps à regarder sa montre pour vérifier qu’elle ne s’est pas arrêtée. C’est seulement quand on s’assoit vraiment que l’on atteint la sérénité de l’esprit.
Comme le dit Maître Dōgen :
Dans l’eau pure d’un cœur sans trouble
La lune se reflète
Même les vagues brisées
Deviennent lumière
C’est cela la foi véritable.
Sawaki Kōdō